Création des lagunes au 17ème siècle

La première étape de ce travail a commencé avec l’étude de la plus ancienne carte connue, dite « carte de Hong Duc », datée de 1490. Même si la représentation du paysage local semble très schématique, grâce aux textes explicatifs, on peut repérer les noms des districts régionaux et savoir que cinq fleuves sillonnaient la région et qu’aucune lagune n’avait été repérée dans la région de l’actuelle Huế. Cette première carte pose d’emblée la question de l’évolution du paysage dans le temps puisque les lagunes aujourd’hui si caractéristiques de la province de Thừa Thiên – Huế ne semblent pas exister aux périodes anciennes et que cela pose alors une problématique autour de la dimension historique des lagunes.
De plus, une étude comparée de cartes du XVIIe siècle permet de discerner l’évolution du paysage. Ainsi, il semble que les grands fleuves repérés à la fin du XVe siècle aient dessiné tout un réseau d’îles qui, sur sa rive arrière, offrait une possibilité de circulation et de protection des bateaux et de la population. On voit se créer les lagunes si caractéristiques de la région de Huế aujourd’hui, qui jouent des rôles multiples et complémentaires, comme communication et forme de contrôle territorial, comme contrôle politique et social et, enfin, comme contrôle des ressources naturelles. Ainsi, les cartes utilisées dans une recherche historique deviennent des outils d’investigation et de résilience des paysages. Il semble donc très intéressant de travailler à une échelle locale, qui permet une analyse plus fine qu’une étude globale ne permet pas de visualiser. En tant que telle, l’évolution des paysages influence le cours de l’histoire des hommes. Et cette étude veut démontrer que les inondations comme l’instabilité des cours des rivières ont probablement été un facteur responsable des changements de capitales des Seigneurs Nguyễn. Ainsi, des situations climatiques extraordinaires permettent de contextualiser des faits historiques.

Création des lagunes au 17ème siècle

legende_tout_17e

Par exemple, un montage de trois cartes datant respectivement du début, du milieu et de la fin du XVIIe siècle permet de cerner certaines évolutions du paysage :

– au cours du siècle, le nombre des embouchures de fleuve s’est modifié, passant de six à cinq. Sur le document comparatif, le cercle bleu montre la disparition progressive d’une embouchure, qui n’existe pas sur la carte du 15ème siècle. Cette embouchure (Yêy/Tiên môn) semble apparaître au 16ème siècle, un phénomène tout à fait envisageable tant le sol sablonneux est instable. Inondations et tempêtes sont mentionnées dans les Chroniques de Huế durant le troisième quart du 17ème siècle. L’embouchure Yêu, en se fermant, a empêché l’accès direct à la mer de la citadelle Nguyễn de Dinh Cát, repérée sur les cartes grâce au cercle jaune dans la partie supérieure des documents sous le nom Cat Doanh ;

-dans la partie sud de ces cartes, on constate que l’actuelle lagune de Tam Giang (anciennement lagune de l’Ouest) s’est formée progressivement au cours du XVIIe siècle. Cette lagune s’étend de l’embouchure de la rivière de O Lau à l’embouchure de la rivière des parfums, une section déjà visible sur la carte de Hong Duc. Elle a aujourd’hui une longueur de 27 kms. Sa forme semble avoir beaucoup évolué dans le temps. Elle est repérée sur les cartes par le cercle rose au centre ;

– plus au sud la lagune de Thuy Tu (anciennement lagune de l’Est) s’étend aujourd’hui sur presque 25 kms pour aller se jeter dans la lagune de Cau Hai. La lagune de Cau Hai ne serait donc pas très ancienne ; au XIIe ou XIIIe siècle que les Cam ont érigé le site de Linh Thai qui surplombe la passe de Tu Hien. On pourrait donc suggérer que l’intérêt économique et politique du sud de la région s’est développé à cette période. On voit cette lagune se former au milieu du XVIIe siècle et progressivement creuser un accès vers le sud, accès qui est appelé la passe de Tu Hien. Les lagunes de Thuy Tu et de Cau Hai sont repérées sur les cartes par le cercle rose en bas. La citadelle Nguyễn de Kim Long, repérée sur les cartes grâce au cercle jaune dans la partie inférieure des documents, s’est ainsi trouvée avec un accès direct à la mer.

Par cet exemple d’une étude comparée de documents du XVIIe siècle, on peut repérer la formation de lagunes au cours du temps, la fermeture d’une embouchure de fleuve, qui a dû modifier les données géopolitiques de la parti nord de la région et la création d’un double accès à la mer de la partie sud de la région. Or c’est précisément à cette époque (1636-1687) qu’a lieu le changement de capitale (à Kim Long) de deux rois Nguyễn. On constate, en effet, qu’en 1626, la capitale de Dinh Cát dans l’actuelle province de Quảng Trị est transférée dans l’actuelle province de Thừa Thiên – Huế, d’abord à Phước Yên, proche du fleuve Bồ (Quảng Điền, Thừa Thiên) pour une dizaine d’années, puis à Kim Long (Hương Trà,Thừa Thiên), au bord de la rivière des parfums.

L’étude de la documentation cartographique sino-vietnamienne montre des causes environnementales plutôt qu’idéologiques (la « marche vers le Sud ») aux changements de capitales, dans la mesure où il est possible d’établir une relation entre l’évolution du paysage et les mouvements des centres politique et l’étude l’évolution du paysage est importante pour contextualiser certains événements historiques.